« Nous ne sommes pas fait du bois des victoires, mais de celui des combats »

 

Au lycée Romain-Rolland d'Ivry, les élèves de la classe option cinéma se préparent à un remake d'un extrait de La Salamandre d'Alain Tanner sur l’aile de la poésie (la femme de Paul lit un poème d'Heinrich Heine tiré de Voyage de Munich à Gênes,1828). Jean-Gabriel Périot (Une jeunesse allemande, 2016, Lumières d’été, 2017), invité comme réalisateur par l'équipe du cinéma municipal, le Luxy, les a amenés sur son terrain : voir le cinéma militant de 68 et en choisir huit extraits de films qu'ils ont mis en scène et joués. Il réussit à composer le portrait de groupe d'une génération, tout en mettant en jeu deux axes d'apprentissage, celui de l’acteur et de sa direction par les élèves, celui des techniciens au son et à l'image.

Nos défaites alterne les séquences d'archives réinterprétées de manière émouvante et crédible en noir & blanc, et les entretiens avec chacun des protagonistes (filles et garçons à parité). Périot, en voix off, les questionne sur le sens des scènes et les questions politiques qu'elles soulèvent. De la condition ouvrière (Camarades, Marin Karmitz, 1969, La Reprise du travail aux usines Wonder, Jacques Willemont, 1968) à l’idée de révolution (La Chinoise de Jean-Luc Godard, 1967), détruire, changer le monde.

Las, la révolution n'a plus cours. Le monologue tiré du Sang des autres (Groupe Medvedkine - Bruno Muel, 1974), déjà, sonnait la fin des illusions. Si la grève leur apparaît comme un moyen de lutter, la majorité ignore ce qu'est un syndicat. Les connotations négatives attachées au mot « politique » (ou « anarchie ») sont révélatrices de la faillite des idées dominantes.

Périot leur donne la parole, hésitations et silences compris, signes de fragilité, d'incertitudes ou d'une pensée qui se cherche. Leurs lacunes nous renvoient à l'absence de transmission de l'histoire sociale et politique. Et pourtant, la notion d'engagement ne leur est pas étrangère ; l'un d'eux fait preuve d'une maturité qui annonce la relève.

Le film devait s'achever sur les paroles combatives de À bientôt j'espère (Chris Marker et Mario Marret, 1967), lorsqu'en décembre 2018, le retour du réel en a décidé autrement. La reprise du tournage donne lieu à un codicille qui met en perspective la solidarité et la nécessité d'agir. On revoit les mêmes élèves, mobilisés contre la course d'obstacles de Parcoursup, ils participent au blocus du lycée parce que six d'entre eux ont été mis en garde à vue pour avoir tagué sur un panneau à l'extérieur du lycée. À l'épreuve de la bataille et du film, nul doute que leur regard sur le monde en sera changé.

 

Claudine Castel
Les Fiches cinéma
Octobre 2019